Les bruits de la crise à Cuba

Il y a une bande-son de la catastrophe qui se décrit à peine, mais qui nous entoure de toutes parts. (14ymedio)

Yoani Sánchez, La Havane | 24/08/2021

L’aube se lève et le bruit de poules dans une cour voisine s’entend dans tout le quartier, quand arrive midi on entend les cris d’une voisine qui informe qu’il y a des bananes sur le marché de la rue Tulipán et, dans l’après-midi les grincements d’une brouette chargée de deux enfants nostalgiques d’un parc d’attractions se faufile par les fenêtres. Ce sont les bruits de la crise à Cuba.

Bien que les images de longues files d’attente, de visages sans sourire et de sacs vides soient les plus récurrentes au moment de décrire la situation actuelle de cette île, il y a une bande-son de la catastrophe qui se décrit à peine, mais qui nous entoure de toutes parts. Certains de ces échos ressemblent à ceux que nous entendions dans les années 90, pendant el Período Especial, comme si l’aiguille du tourne-disque de nos vies avait sauté et s’était remise à jouer la même musique.

Ces derniers temps me rappellent cette époque où des voisins de notre immeuble avaient élevé un cochon dans leur salle de bain et pour que ça ne dérange pas trop lui avaient opéré les cordes vocales, à la fin l’animal émettait un son rauque et aspiré beaucoup plus inquiétant que son grognement original. Maintenant, sur un balcon voisin, ils gardent dans une cage plusieurs guanajos (dindons) qui gloussent tout le temps, une pratique qui tente d’assurer quelques protéines pour les familles qui craignent que viennent des temps plus difficiles.

Mais il y a aussi une autre petite musique permanente, et c’est celle d’irritabilité. Arrivent les insultes des disputes au domicile, alimentées par le manque de moyens et le confinement forcé apporté aux familles par la pandémie avec des cas positifs au Covid-19 ; les pleurs des enfants qui ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas sortir jouer et les sanglots du fils dont la mère est morte par manque d’oxygène ou de médicaments.

Une résonance suffocante, le chœur d’une ville et d’un pays désespérés.

Traduction : SACD

Le pillage du Venezuela par Cuba continue, du pétrole aux haricots

A La Havane, deux paquets d’un kilo de haricots mungo sont distribués aux familles avec d’autres produits. (Collage)

14ymedio, La Havane | 10 août 2021

Le gouvernement de Nicolás Maduro fait bénéficier Cuba en plus de pétrole, d’expéditions de haricots mungo, de riz et de soupe ; comme le démontre les produits vénézuéliens qui sont distribués aux foyers de l’île et qu’assurent les médias officiels comme faisant partie du don de 240 tonnes réalisé par des « nations amies ».

Les haricots mungo qui sont distribués font partie de ce que Maduro achète au Venezuela auprès de producteurs locaux, et qui sont inclus dans les paniers de rationnement contenant des produits du Comité Local d’Approvisionnement et de Production (Clap), qui ont commencé à être distribuées aux Vénézuéliens en 2016 et qui ont été mis en question comme un moyen de gagner des électeurs.

« Le panier de rationnement Clap donne la priorité aux haricots parce que ce sont le grains que l’on obtient ici, car les lentilles proviennent de climats froids et d’altitude et sont principalement importées d’Argentine et de Chine », a déclaré à Chronicle One, Ramón Elías Bolotín, directeur des Légumineuses et Oléagineux de la Confédération de Producteurs Agricoles du Venezuela (Fedeagro).

Mais dans le pays bolivarien, les haricots mungo ne sont pas abondants. La Société Vénézuélienne des Ingénieurs Agronomes (Sviaa) a enregistré l’an dernier une production de 48,61 % des 72 000 hectares disponibles pour les légumineuses, ce qui couvrirait à peine 12,95 % du besoin d’approvisionnement.

Pendant ce temps, à La Havane, deux paquets d’un kilo de haricots mungo sont distribués aux familles, conditionnés par la société La Dulce Carmelita de Barquisimeto, dans l’État vénézuélien de Lara.

A Santiago de Cuba, comme dans la capitale, ce sont deux kilogrammes du même grain, mais ces emballages ont été préparés par la société La Tierra Bendecida, située dans l’État de Portuguesa. La consommation de haricots mungo n’est pas courante chez les habitants de Santiago, ce qui a suscité des doutes sur la façon dont ils doivent être préparés et dégustés.

« Ils disent qu’il a un goût très similaire aux lentilles ; dans les groupes WhatsApp et Telegram, beaucoup s’envoient des recettes pour les préparer », explique une maitresse de maison. « Il faut les porter à ébullition, les changer d’eau deux fois et enfin les mettre dans l’autocuiseur avec les condiments ».

Dans un pays où les haricots sont traditionnellement utilisés pour faire du potage, la façon de cuisiner ce grain reste un mystère. Pour le moment, les ménagères mettent en garde de ne pas les laisser trop longtemps sur le feu car « ils se défont et n’ont aucun goût ». Mais, la recette précise reste à définir.

Mi Ángel est la marque vénézuélienne de haricots mungo que le gouvernement cubain a envoyée à Ciego de Ávila. Les mêmes qui ont été largement critiqués dans le pays sud-américain pour leur mauvaise qualité. En 2020, un chroniqueur du journal télévisé Aporrea affirmait que ce produit devient « de la nourriture pour les porcs ».

« N’ayant aucune autre alternative pour manger, nous sommes obligés de perdre des minutes et des minutes à séparer quelques grains de tant de déchets, de terre, d’insectes… nous avons même été obligés de les laver pas même cinq ou dix fois, mais jusqu’à vingt fois et plus », s’est plaint Brígido Daniel Torrealba. « L’ironie, c’est qu’au centre de l’emballage, sur le devant, il est écrit en gros : « Grains sélectionnés ». »

Quelque chose de similaire est arrivé à plusieurs personnes de Santiago qui se sont plaintes via la page El Chago-Santiago de Cuba de la mauvaise qualité des haricots. Sur certaines photos partagées « on observe à l’intérieur des colis et à l’extérieur de ceux-ci, ce qu’ils identifient comme étant de la terre et un champignon blanc », décrit la publication.

Un autre pillage, peut-être le principal, est l’expédition de pétrole du Venezuela vers Cuba, un « accord » qui a près de 22 ans et reste en vigueur malgré la crise économique dans laquelle se trouve le pays sud-américain et les effets de la pandémie de covid-19. Rien qu’en juillet dernier, le partenaire bolivarien a envoyé sur l’île un total de 713 097 barils.

L’envoi de pétroliers avec du pétrole du Venezuela répond à l’accord bilatéral depuis l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez en 1999. L’approvisionnement en pétrole brut a été apporté, d’abord, en échange de la fourniture de services médicaux cubains, et a été étendu pour couvrir de nombreux secteurs de l’économie, comme l’exploitation minière, les sports et l’électricité.

Les avantages que Cuba reçoit du Venezuela ont également été mis en évidence par l’ancien ambassadeur du Venezuela aux États-Unis, Carlos Vecchio, qui a dénoncé en 2020 l’envoi de quelques 348 millions de dollars à Cuba en pétrole, alors que 9,3 millions de Vénézuéliens vivent dans une insécurité alimentaire sévère et modérée.

Le diplomate a assuré que le régime de Nicolás Maduro avait envoyé 33 navires-citerne vers l’île, chargés d’un peu plus de 13 millions de barils du « meilleur brut léger vénézuélien, le Merey ».

Au Parque Trillo, un évènement officiel ne peut rivaliser avec la file d’attente des pommes de terre

Le salon organisé par la Fédération Etudiante Universitaire (FEU) est venu compléter la malheureuse caravane officielle qui a sillonné le Malecón ce matin. (14ymedio / Collage)

Yoani Sánchez, La Havane | 5 août 2021

La photo du dessus date de ce jeudi matin et montre la file d’attente pour acheter des pommes de terre sur le marché rationné près du Parque Trillo, au centre de La Havane. L’image du dessous a été prise lors d’un salon organisé par la Fédération Etudiante Universitaire (FEU) dans ce même parc.

Le salon FEU est venu compléter la malheureuse caravane officielle qui a parcouru le Malecón également ce matin. Soit par nécessité, soit par obligation, il semble que les Cubains soient condamnés à ne pas pouvoir éviter les foules et les rassemblements au milieu de la plus terrible des épidémies de covid-19 que cette île ait connue.

Pour paraphraser le poète et dramaturge Virgilio Piñera … « Je ne sais pas pour vous, mais j’ai peur, très peur » que le virus, ainsi que les pénuries dont nous souffrons et l’arrogance de ceux qui contrôlent ce pays, finissent par emporter plus de vies… beaucoup plus de vies.

Une nouvelle génération de Cubains ne sera pas réduite au silence

C’était une image nouvelle, qui a provoqué une palpitation à l’estomac et a fini aussi par générer un effet de contagion. (Facebook)

14ymedio, Yoani Sánchez, La Havane | 22 juillet 2021

Juillet est un mois qui comporte des anniversaires à Cuba : l’assaut de Fidel Castro sur la caserne Moncada, qui fut l’étincelle de la révolution, en 1953 ; le fusillement du général révolutionnaire Arnaldo Ochoa, qui a choqué de nombreux Cubains, en 1989, et le naufrage d’un ferry avec à son bord des dizaines de personnes à l’été 1994, au plus fort de l’exode des radeaux. A ces dates historiques s’ajoute le moment où les Cubains ont repris les rues, nos rues.

Le dimanche 11 juillet a commencé comme n’importe quel autre jour d’été sur cette île : chaleur, longues files d’attente pour acheter de la nourriture et précarité rythmant la vie. Puis ont été diffusées sur Facebook, les premières vidéos de la manifestation de la petite ville de San Antonio de los Baños, dans la province d’Artemisa au sud-ouest de La Havane.

L’accès de millions de Cubains aux réseaux sociaux, qui a commencé en décembre 2018, a permis la diffusion à toute vitesse des vidéos de l’indignation populaire. Sur les écrans, des Cubains voyaient une foule scander « liberté », « nous voulons de l’aide », « nous n’avons pas peur » et des insultes contre le président Miguel Díaz-Canel. C’était une nouvelle image, qui a provoqué une palpitation à l’’estomac et a fini aussi par générer un effet de contagion.

Lorsque la caravane présidentielle est arrivée à San Antonio de los Baños, les manifestations s’étaient déjà étendues à d’autres villes de l’île. Díaz-Canel et son entourage se sont rendus à San Antonio pour tenter de reproduire la scène de Fidel Castro faisant irruption sur l’avenue du littoral de La Havane après les manifestations du Maleconazo de 1994, le seul précédent d’explosion sociale que plusieurs générations de Cubains aient connu. Mais le subterfuge n’a pas fonctionné.

A ce moment déjà, à Palma Soriano, à Santiago de Cuba, il y avait des manifestations ; Des centaines d’habitants prenaient les places de Cárdenas, à Matanzas et des groupes de jeunes s’approchaient du Capitole à La Havane.

 « Nous nous sommes réunis dans un coin de El Vedado – un quartier de La Havane – et avons commencé à parler la même langue », m’a expliqué Alejandro, un homme de 32 ans qui, avec des dizaines de Havanais, est arrivé au siège du Parlement cubain en scandant ce mot de trois syllabes : liberté.

Selon le récit officiel du castrisme, la plus grande partie du peuple approuve le modèle politique et le gouvernement. Seuls quelques opposants les désapprouvent. Mais les manifestations ont montré que ce discours n’est pas la réalité.

Beaucoup de ceux qui ont appelé à la démission de Díaz-Canel et la fin de la dictature sont nés après le Maleconazo ou étaient des enfants sans aucun souvenir de cette révolte. Mais peu importe qu’ils ne s’en souviennent pas, car contrairement à cette explosion-là, cette fois les manifestations ne visent pas à s’échapper de l’île sur un radeau, mais à la changer.

Malgré des décennies d’endoctrinement et de surveillance, les manifestants ont fait preuve d’un civisme surprenant. En un jour, ils ont gagné tout le terrain que la dissidence partisane n’avait pas conquis en plus d’un demi-siècle. Ils n’ont pas eu besoin de leader ou d’organisations d’opposition pour les appeler à manifester. Ils ont chanté des slogans libertaires, mais ils ont aussi clamé contre le gouvernement pour une vie meilleure et contre le modèle politique : « à bas le communisme ».

Certes, les restrictions de la pandémie ont épuisé une population déjà fatiguée par les pénuries. Mais les jeunes Cubains ne protestent pas seulement à cause du couvre-feu imposé en raison de la crise sanitaire ou la réduction des vols commerciaux qui les empêche d’essayer de s’échapper vers n’importe quel pays de la région ou à cause des fichus magasins en devises étrangères, où on peut trouver les produits qui se font rares dans les magasins en pesos cubains. Ce sont toutes des raisons de protester mais pas la raison principale. Le combustible est le désir de liberté, l’espoir de vivre dans un pays offrant des opportunités, la peur de se convertir en ombres faibles et silencieuses qu’ont fini par devenir leurs grands-parents.

Ils étaient là parce que le mythe officiel du peuple sauvé par des barbus descendus de la Sierra Maestra ne fonctionne plus pour eux, qui ont grandi en voyant croitre le ventre des officiels tandis que chez eux ils ont beaucoup de difficulté à mettre quelque chose dans l’assiette. Ils ont cessé de craindre de perdre leur vie dans la rue puisque, de toutes façons, ils la perdent lentement dans les longues files d’attente pour acheter de la nourriture, dans les bus bondés et avec de longues pannes de courant électrique.

Ils ne veulent pas être les petits-enfants d’une révolution qui a tellement mal vieilli qu’elle s’est reniée et les a condamnés à risquer leur vie en traversant le détroit de Floride pour chercher une vie décente.

Une image résume l’éclatement du récit officiel et le changement de génération : des jeunes avec un drapeau cubain ensanglanté juchés sur un véhicule de police renversé au milieu de la rue. Ils ne portent pas de barbe ni d’uniforme vert olive, comme les patriarches de la révolution, mais ils sont déjà le nouveau symbole de cette île. Ils sont descendus dans la rue parce qu’ils ont cru qu’elle leur appartenait.

Le régime a répondu seulement comme il sait le faire : par la répression. Lors de manifestations passées, des fonctionnaires, des membres des comités de Défense de la Révolution et des adorateurs de Raúl Castro ont été utilisés comme première ligne de défense civile du gouvernement pour éviter de générer des images de répression policière et militaire. Mais dans les premières heures de la manifestation, on en a peu vu. Peut-être que beaucoup de ces militants étaient surpris, effrayés et attendaient des ordres. Ou, peut-être, ils espéraient aussi que le cauchemar de Castro se terminerait avec cette mer de gens pacifiques qui protestaient et scandaient liberté dans les rues.

Pour cette raison, un Díaz-Canel en colère est apparu à la télévision nationale, avertissant que « l’ordre de combat été donné » et qu’ils étaient « prêts à tout » pour empêcher la protestation de continuer à gagner les rues et les places de l’île. Le gouverant a été clair : « La rue appartient aux révolutionnaires » et dès lors il a commencé à armer ses défenseurs de bâtons et de pierres.

Le gouvernement a détenu des centaines de Cubains, militarisé les rues du pays et restreint Internet dans de nombreuses régions pour faire croire aux gens à l’intérieur et à l’extérieur que tout est calme. Mais le silence s’est rompu. Et les voix qui l’ont brisé sont avant tout de jeunes Cubains qui réclament par des cris un changement profond dans leur pays.

De nombreux Cubains en étaient venus à croire que la dictature serait éternelle, que l’île était maudite à jamais, que nous n’avions pas d’autre choix que de nous enfuir ou nous taire. D’autres étaient convaincus que l’ADN des Cubains ne permettait pas la rébellion, que les braves étaient partis et que seule une masse apathique et silencieuse restait dans le pays. C’est ce qui semblait jusqu’au dimanche 11 juillet.

L’avenir est rempli d’incertitudes. Petit à petit, le nombre de morts, d’arrestations et de disparitions sera connu. Pour faciliter cette tâche, il est urgent que les organisations sociales mettent en place des permanences téléphoniques par lesquelles les familles des disparus pourront fournir des informations pour localiser leurs proches. Les Nations Unies et l’Union européenne ont appelé le gouvernement cubain à respecter le droit de manifester et à libérer toutes les personnes détenues pour avoir manifesté. Mais une chose est claire : les Cubains ont goûté la saveur de la liberté, il n’y a pas de retour en arrière. Nous ne serons plus réduits au silence.

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Note de la rédaction : cet article a été initialement publié dans The New York Times.

Traduction : SACD

Quand la répression frappe à ta porte

Pour moi, peu importe que tu m’aies diffamé sans savoir, attaqué sans arguments ou frappé dans un acte de répudiation contre moi ou mes êtres chers. (Capture d’écran d’une vidéo prise lors d’un acte violent de répudiation contre le mari de Yoani, Reinaldo Escobar, la personne à gauche qui regarde en face).

YOANI SÁNCHEZ, La Havane | 21/07/2021 – Il y a un peu plus de dix jours, la répression violente était pour de nombreux Cubains une expérience qui leur était étrangère, une histoire que d’autres racontaient et dont on pouvait douter lorsqu’elle était racontée par des opposants ou des journalistes indépendants. Voilà ce qu’il semblait, jusqu’à ce que le 11 juillet dernier, certains ont confirmé dans leur chair que les arrestations arbitraires, les coups, les déshabillages et les humiliations dans les postes de police, ou le silence des autorités sur le sort d’un détenu n’étaient pas le fruit de l’imagination ou des canulars de quelques-uns.

Beaucoup de ceux qui auparavant doutaient et interrogeaient les victimes en disant qu’ils avaient tout inventé et que quelque chose comme ça ne pouvait pas arriver sur cette île, ont maintenant un fils ou une nièce enfermé en attente d’un jugement sommaire pour simplement être sorti dans la rue en demandant  » Liberté !  » ou essayé de filmer des révoltes populaires avec la caméra de leur mobile. Les témoignages apparaissent, ils comportent des dérives, des outrages, des interrogatoires prolongés, la surpopulation des cellules et des menaces, de nombreuses menaces.

Rien de tout cela n’est nouveau en aucune manière pour une partie de la population cubaine qui dénonce de tels événements depuis des décennies. Mais parfois, il faut le sentir pour le croire, en faire l’expérience dans sa chair pour montrer son empathie envers une autre victime et mettre le doigt dans la plaie pour vous assurer qu’elle existe. Ça ne devrait pas être comme ça.

Personnellement, ce n’est pas la peine maintenant de retourner du scepticisme avec du scepticisme, de la surdité avec de la surdité, du sarcasme avec du sarcasme

Personnellement, ce n’est pas la peine maintenant de retourner du scepticisme avec du scepticisme, de la surdité avec de la surdité, du sarcasme avec du sarcasme. Il est temps de mettre votre épaule et de soutenir les nouvelles victimes de la répression directe, peu importe si elles ont un jour douté de l’horreur vécue par les autres.

Compte sur moi pour crier pour la libération de tes enfants. Je me fiche si tu t’es moqué ou que tu n’as pas cru quand j’ai été kidnappée et battue en novembre 2009; Peu m’importe si tu t’es prêté à surveillance de mon petit garçon pendant qu’il allait à l’école et lui crier que sa mère était une « mercenaire »; Je m’en fiche si tu as signalé des personnes qui me rendaient visite et riais quand j’ai passé de longues heures dans une cellule. Ce n’est pas grave si tu as participé à nuire à ma réputation et à la tentative de me tuer socialement.

Pour moi cela ne compte pas que tu m’aies diffamé sans savoir, attaqué sans arguments ou frappé dans un acte de répudiation contre moi ou mes êtres chers. Je suis de ton côté pour qu’ils libèrent ce membre de ta famille que tu aimes. Moi je te crois.

Traduction : SACD

11 juillet : le jour où les jeunes cubains ont renversé un véhicule de patrouille

Les dirigeants en guayabera et au ventre arrondi, ne comprennent pas que ces jeunes gens au corps frêle ne les craignent pas.

YOANI SÁNCHEZ, La Havane | 20 juillet 2021

Photo emblématique prise au coin de Toyo, La Havane, le 11 juillet dernier.


En tongs et sans chemise, Yander a couru dans la rue Galiano pour rejoindre cette foule qui au cri de « Liberté ! » venait de passer devant sa porte. Dans la précipitation il avait oublié le masque obligatoire. La mère de ce havanais de 35 ans la rejoint essoufflée. « Mon fils, tu oublies ton masque ! », lui a-t-elle dit en lui tendant un morceau de tissus noir. Elle ne l’a plus revu depuis.

Ce dimanche, 11 juillet, Cuba s’est embrasé de manifestations spontanées dans plusieurs villes. La mèche, allumée à San Antonio de los Baños, s’est étendue rapidement à travers la capitale. Des milliers de personnes convergeaient en torrents sans tracé vers les places les plus proches.

A quelques mètres du Capitole, siège du docile Parlement cubain, Agustín, 28 ans, était sur son fauteuil roulant, et quand il a vu « les garçons qui arrivaient comme un tourbillon », il a demandé à quelqu’un de l’aider pour les accompagner. Son invalidité lui a épargné la détention, mais il n’a pas échappé au coup porté par un policier qui lui a fait un hématome sur le bras.

Quand les troupes de choc sont arrivées pour arrêter la révolte, une dame âgée s’est penchée à la fenêtre en criant « Misérables, vendus de la patrie ! » aux manifestants. On l’a à peine entendue. Le cœur compact, qui répétait « Patrie et vie ! » et « A bas le communisme ! », a noyé ces mots encrées dans un passé où le parti cubain au pouvoir imposait ses consignes. La majorité était jeune. Au coin de Toyo, au centre-ville, juchés sur une voiture de patrouille, brandissant un drapeau tâché de sang, essayant de sauver un ami que la police emmenait, debout le point levé face à la police anti-émeute, ils ont montré qu’ils n’avaient pas peur.

Penché au balcon, Mireya a vu arriver le tumulte dans sa rue, le boulevard de San Rafael. Elle venait de crier à sa voisine qu’elle l’attendrait à cinq heures du matin à La Época. C’est un magasin à proximité, de vente exclusive en devises, qui offre beaucoup de produits disparus depuis des mois des magasins en pesos cubains. Les deux femmes se consacrent à l’achat et à la vente de marchandises au marché noir. Mais ce rendez-vous pour emporter des paquets de haricots, des aliments en conserve, un peu de fromage et de la bière, n’a jamais eu lieu. Lundi, la voisine s’est réveillée dans une cellule et Mireya, à la recherche de sa fille de 16 ans, Karla, devant un commissariat.

« Ma fille est mineure et n’est descendue que pour faire une vidéo avec son portable, j’ai vu comment la police l’a emmenée de force », sanglote-t-elle. C’est une des milliers de disparus de la journée.

A Santiago de Cuba, dans la ville lointaine de Palma Soriano, Severino est devenu rauque à force de crier. « De ma famille nous sommes sortis à quatre mais seuls deux d’entre nous sommes revenus, les autres on ne sait pas où ils sont et on ne nous dit rien », explique-t-il. « Nous n’avons même pas réfléchi, ce jour-là, la seule chose que j’avais dans le ventre était une tasse de café… mais quelle effet a eu ce café, j’avais l’impression d’avoir mangé un jarret de porc. » Retraité avec la pension minimum (environ 20 euros mensuels), Severino éclate de rire en entendant que des voix officielles disent que « l’impérialisme » l’a payé pour descendre dans la rue.

« J’ai perdu mon portefeuille et une chaussure, mais ça valait le coup », raconte une jeune diplômée en économie de San Antonio de los Baños qui a été l’une des premières à sortir manifester dans une ville où « quand on trouve quelque chose à cuisiner, alors il n’y a plus d’électricité ». C’est dans cette municipalité de la province d’Artemisa qu’a jailli l’étincelle qui a ensuite allumé les âmes dans presque toute l’île. San Antonio est connu pour accueillir l’École internationale de cinéma et de télévision et le Festival Biennal de l’Humour. « Nous étions la ville de l’humour, maintenant nous sommes la ville de l’honneur. »

« Ma mère n’a pas voulu venir avec moi parce qu’elle avait peur et maintenant elle regrette de ne pas avoir vécu cette journée historique, avec les autres », se vante la jeune femme. Son histoire est constamment interrompue par une toux sèche inquiétante. Le pays connaît le pire rebond de la pandémie, mais les chiffres alarmants du covid-19 n’ont pas empêché les gens de se rassembler, peut-être parce que « mourir chaque jour, avec les angoisses et la misère, c’est pire que le coronavirus ».

A Sancti Spíritus, Mercedes (38 ans) a passé le dimanche collée à l’écran de son téléphone portable, dévorant les vidéos qui apparaissaient des manifestations dans d’autres provinces. A plusieurs voisins, ils ont mis de l’argent en commun pour acheter une recharge qui leur permettrait de rester connectés plus longtemps et de ne manquer aucun détail. « La nuit, la seule lumière était l’écran, car nous subissions une coupure d’électricité. »

Le lendemain matin, son patron l’a convoquée tôt au bureau d’État où elle passe ses heures entre apathie et envie de rentrer chez elle. « Nous devons défendre les rues contre les contre-révolutionnaires et chaque travailleur doit s’engager publiquement à être aux côtés de notre Parti Communiste et contre ces mercenaires qui veulent nous prendre la patrie », lui a-t-il déclaré. Mercedes était abasourdie. Ce même après-midi, elle a décidé de quitter son emploi. « Même si nous nous retrouvons sans un peso dans cette famille, personne ne va me mettre un bâton dans la main pour casser la tête du fils d’un voisin. Qu’ils ne comptent pas sur moi », explique Mercedes.

Ces épisodes se répètent dans toutes les entreprises et administrations du pays. L’employé d’une maison d’édition officielle raconte qu’ils ont été transférés dans un domaine de l’Union des Jeunes Communistes pour couper des branches et fabriquer des bâtons « afin que les travailleurs se défendent des provocations des mercenaires ». Beaucoup assurent en privé qu’ils n’ont pas l’intention de frapper qui que ce soit. En plus de perdre leur emploi, certains de ceux qui ont refusé de participer aux actions contre les manifestants ont subi des « actes de répudiation », une sorte de dénonciation violente et humiliante, de la part de leurs collègues.

La sonnerie du téléphone surprend Leidy Laura en train d’allaiter son bébé. À l’autre bout du fil, sa sœur, qui vit à Miami, lui raconte que depuis dimanche ils suivent à la minute près l’actualité télévisée, célébrant la possible chute du castrisme.

« Ici c’est militarisé, les rues pleines de policiers et d’hommes armés de pierres et de battes de baseball », lui répond-elle avec inquiétude. Elle n’a pas quitté son domicile de Camagüey depuis « trois jours » de peur d’être piégée « dans l’un des barrages qu’ils ont installés dans la ville ».

Leidy Laura a 24 ans et est la fille de deux habitants havanais qui lui ont raconté comment ils ont vécu le 5 août 1994, lorsque la précédente explosion sociale a secoué la côte de la capitale cubaine lors d’un événement connu sous le nom de Maleconazo. « Tu penses, cela a été beaucoup plus grand et dans presque toute l’île. L’autre c’était la répétition, et ça la mise en pratique », dit-il.

« Mon père me dit toujours qu’à cette époque il était très excité par la chute de la dictature, mais cela fait presque 30 ans et ça tient toujours », ajoute-t-il avec un certain pessimisme. « Je m’étais fait à l’idée que mon fils allait devoir grandir avec un carnet de rationnement et crier à l’école « pionniers du communisme, nous serons comme le Che », mais avec ce qui s’est passé dimanche, je ne sais pas , l’espoir est de retour. »

« Cela peut devenir invivable, si les gens ne peuvent pas sortir acheter de la nourriture parce que les affrontements et les barricades sont partout, nous allons mourir de faim parce que personne n’a de réserves de quoi que ce soit », explique Viviana, qui jusqu’à l’arrivée de la pandémie menait une affaire prospère de location de chambres pour touristes près du Prado dans la belle ville de Cienfuegos.

Les illusions ne traversent pas tout le monde. La peur est également omniprésente sur l’île. Certains craignent que les excès répressifs du régime alimentent le bûcher du mécontentement et que les manifestations déclenchent une guerre civile. Le gouvernant Miguel Díaz-Canel a attisé ces flammes lorsqu’il a déclaré que « l’ordre de combat est donné » et qu’ils sont « prêts à tout ».

« Ce pays était déjà au bord d’une crise humanitaire et maintenant avec cela nous allons plus vite vers l’abîme. Si les organisations internationales ne nous aident pas, nous finirons par tomber comme des mouches », poursuit Viviana. « Mais cela se voyait venir, nous souffrions déjà trop et les jeunes sont différents. Ils ne croient plus aux mêmes histoires, et vous ne pouvez pas les convaincre avec des histoires du passé. »

 « Les jeunes » dont parle Viviana ont été les protagonistes de manifestations qui pointent carrément le modèle politique qui prévaut sur l’île depuis 62 ans. Bien qu’ayant grandi sous l’endoctrinement le plus rigide, ces garçons se sentent citoyens du monde grâce aux nouvelles technologies, ils ont moins de liens idéologiques et ils perçoivent qu’ils ne doivent rien aux barbus descendus de la Sierra Maestra.

Les « jeunes » sont comme Lucas, 22 ans, qui non seulement utilise Facebook, Instagram et TikTok, mais a passé des mois à se réfugier dans les fils de discussion Telegram et les groupes WhatsApp à ruminer ses frustrations. La manifestation de dimanche était la première fois qu’il voyait des visages d’amis jusque-là cachés sous des avatars. « Nous nous sommes rencontrés et avons commencé à parler la même langue », se souvient-il maintenant à propos de la rencontre dans un coin du quartier El Vedado de La Havane. De là, ils sont partis à travers toute la rue San Lázaro en se tenant la main. Ils n’avaient pas de chef, ils ne faisaient pas partie d’un parti d’opposition, mais ils sont devenus l’épine plantée dans le cœur d’un système mourant.

Les dirigeants en guayabera bien repassée et au ventre arrondi ne comprennent pas que ces garçons au corps frêle issus de longues marches et de courtes rations alimentaires n’ont pas peur d’eux. Ils se moquent de la rhétorique officielle depuis des années, ils n’ont pas allumé la télévision nationale depuis longtemps pour que la bouillie d’informations préparée par le Parti ne les fasse pas vomir. Ils sont imperméables aux reproches que leur adresse le parti au pouvoir. Ils sont l’avenir; tandis que la police qui les bat, les militaires qui leurs tirent dessus et les brigades de réponse rapide qui les attaquent ne sont que les vestiges d’un passé qui refuse de mourir mais qui s’en ira aussi.

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Ce reportage a été publié pour la première fois dans le quotidien El Mundo.

Traduction : SACD

Maintenant ce sont eux qui ont peur

« La liberté ne tient pas dans une valise » (Capture d’écran)

Yoani Sánchez, La Havane | 16/07/2021 — Dans la file d’attente personne ne parle. Une femme regarde le bout de ses chaussures, et un jeune tambourine avec ses doigts sur le mur. Quelques jours se sont écoulés depuis que les Cubains sont descendus dans la rue pour une manifestation sans précédent depuis 62 ans, et que l’indignation envahit chaque espace. A mesure que sortent les images des brutalités policières, ajoutés aux témoignages de mères dont des enfants ont disparu depuis ce dimanche et les vidéos des villes militarisées, l’irritation populaire grandit.

Quiconque, avant cette date historique ne connaissait pas l’ile, pourrait dire que les autorités ont réussi contrôler la situation et que le calme règne à nouveau dans les rues cubaines. Mais, en réalité cette apparente tranquillité est seulement peur, colère et douleur. Dans La Havane la tension se perçoit dans l’air et partout sont présents policiers, militaires et civils liés au gouvernement dotés de matraques improvisées. Dans les habitations le malaise augmente et les larmes coulent. Peu réussissent à dormir jusqu’à l’aube.

Des milliers de familles recherchent un proche dans les postes de police, d’autres attendent que les hommes en uniforme viennent frapper à leur porte pour emmener un parent suspecté d’avoir participé aux manifestations. De nouveaux foyers de contestation éclatent en différents points du pays et son étouffés par des coups et des tirs des troupes spéciales, les redoutées « guêpes noires ». De nombreux journalistes indépendants sont détenus, d’autres assignés à résidence et l’accès à Internet a été censuré à plusieurs reprises depuis qu’a éclaté la première démonstration populaire.

Le peuple que les autorités présentaient comme totalement fidèle au système, docile et paisible n’existe plus. A la place, il y a un pays rempli de cris, certains rugissants et d’autres sourds qu’on ne sait prévoir avec exactitude quand ils éclateront. Le Cuba réel a pris encore plus ses distances avec la nation dépeinte dans la presse officielle. Pendant que la première sent qu’elle a retrouvé la voix civique, testé massivement sa force dans les rues et savouré de prononcer à voix haute « liberté » ; les journaux contrôlés par la presse officielle parlent de conspirations venues de l’extérieur, de groupuscules qui se sont manifestés et de délinquants qui ont vandalisé des marchés. Les deux récits sont exclusifs et ne pourront coexister très longtemps.

Miguel Díaz-Canel a donné le ton dès ses premiers mots devant le micro ce dimanche-là alors que, pratiquement toutes les heures, on apprenait un nouveau foyer de contestation. « L’ordre de combat est donné » et « nous sommes disposés à tout », a-t-il menacé et le spectre de la guerre civile a survolé l’archipel. Aujourd’hui, sans retirer ses paroles, il intercale des concepts comme « harmonie », « paix » et « joie » mais sans parvenir à convaincre, parce qu’en parallèle que ces phrases sirupeuses, des centaines de véhicules à travers le pays continuent à débarquer ses troupes de choc sur les places et aux périphéries des villes.

Jusqu’à présent, la seule inflexion annoncée, dans une tentative d’apaiser les contestations, a été de supprimer la limite imposée aux voyageurs qui rapportent sur l’ile des médicaments, aliments et produits de toilette. Mais la mesure arrive tard, après des années d’exigence et a été perçue comme des miettes face à la forte revendication sociale de démantèlement du système, de départ des principales figures et que commence le plus tôt possible une transition vers la démocratie. « La liberté ne tient pas dans une valise », mettent en garde beaucoup sur les réseaux sociaux, ainsi que la rébellion ne se contient pas avec un bouclier policier. « Nous avions tellement faim que nous avons avalé notre peur », peut-on lire partout. Mais maintenant nous avons tellement de colère que ce sont eux qui nous craignent et ça se sent.

Ce texte a été à l’origine publié le 16 juillet 2021 sur le site internet Deutsche Welle pour l’Amérique latine.

Traduction : SACD

Les masques ne sont pas des bâillons

Alors que le coronavirus fait des dégâts en Amérique latine, un autre ennemi (pas si petit) gagne également du terrain. L’autoritarisme profite de l’urgence sanitaire et de la peur des citoyens afin de réduire les libertés, d’écraser les droits et d’imposer un contrôle violent sur la vie quotidienne. En l’espace de quelques semaines, nous avons reculé de plusieurs années et les reculs pourraient s’accélérer dans les prochains jours.

À côté des appels nécessaires au confinement social, aux restrictions de déplacement et à la fermeture des frontières, certains gouvernements sont allés plus loin et ont enclenché une campagne contre la presse et la liberté d’expression. Entre deux séries de mesures préventives, ils veulent introduire en cachette une censure cinglante et une diminution des droits des citoyens. En plus de la quarantaine et des masques, les punitions et les bâillons s’étendent partout.

Nous avons tout vu. Des chefs d’États et de gouvernements qui attisent la haine xénophobe et exploitent la pandémie à des fins politiques, d’autres qui appellent à des mobilisations massives malgré le risque existant ou qui minimisent les recommandations scientifiques. Alors que de nombreux politiciens assurent combattre les infoxs dangereuses contre la santé, en réalité, ils usent de la censure pour essayer de faire taire les critiques, ceux qui remettent en cause leur gestion et les medias d’information qui les embarrassent.

Lors des périodes d’épidémies, à Cuba, les arrestations politiques visant les reporters indépendants sont plus nombreuses qu’à l’accoutumée et les internautes qui signalent les erreurs officielles sont menacés de punitions exemplaires. Une pluie d’interrogatoires et d’amendes est tombée sur la presse non contrôllée par le Parti communiste et il faut s’attendre à ce que ces représailles augmentent à mesure que progresseront les cas positifs de covid-19.

En plus des interrogatoires de la police politique, des confiscations des outils de travail et des pénalisations financières, la nouvelle vague répressive inclut des campagnes de diabolisation contre les médias privés

En plus des interrogatoires de la police politique, des confiscations des outils de travail et des pénalisations financières, la nouvelle vague répressive inclut des campagnes de diabolisation contre les médias privés. Elle présente quasiment les informateurs comme un autre type de coronavirus. Les autorités semblent particulièrement intéressées à censurer toute information sur la dure réalité des longues files d’attente, la pénurie et l’incertitude économique qui sont en recrudescence ces derniers jours.

Lorsqu’il y a quelques semaines, les réseaux sociaux se sont remplis de messages appelant à la suspension des cours dans les écoles et à la fermeture des frontières aux touristes, les porte-paroles du gouvernement ont qualifié les propositions citoyennes de manipulation fabriquées depuis l’étranger. Plusieurs jours plus tard, la Place de la Révolution a pris un ensemble de mesures très similaires à celles qu’elle avait répudiées plus tôt.

Le retard pris ces semaines ont été amplement dénoncées par les médias indépendants. Les campagnes touristiques officielles ont continué à présenter l’île comme une « destination sûre », allant jusqu’à insinuer que les températures élevées de la Caraïbe constituaient une protection supplémentaire face au virus. Le coût de ce retard en matière de vies humaines ne sera jamais précisément connu.

Une jeune journaliste a été arrêtée la semaine dernière par la police, et elle s’est vue imposer une amende exagérée. Mónica Baró, lauréate du Prix Gabo dans la catégorie Texte en 2019, a reçu des menaces pour ses publications effectuées sur Facebook. Selon les oppresseurs, son délit est d’avoir diffusé une « information contraire à l’intérêt social, à la morale et aux bonnes moeurs et à l’intégrité des personnes », en vertu du Decreto Ley 370, un décret draconien qui régule la diffusion des contenus.

Abrités derrière le coronavirus, d’autres pathogènes dangereux sont en train de germer. Portant collets et cravates, ou épaulettes militaires, ils veulent laisser la société sans « contre-pouvoir médiatique ». .

Texte publié le 21 avril 2020 sur le site internet de la Deutsche Welle.

Traduction : SBC

Les médecins cubains risquent leurs vies pour échapper aux carences

Les médecins cubains qui ont voyagé en Lombardie, dans le nord de l’Italie ont exhibé les drapeaux des deux pays et un portrait géant de Fidel Castro. (PresidenciaCuba)

Les applaudissements venaient de partout. Ce dimanche soir, à 21 heures, une ovation a retenti à Cuba, en hommage au personnel soignant qui est en première ligne face au Covid-19. Comme dans d’autres pays touchés par la pandémie, la population a voulu exprimer aux médecins sa reconnaissance pour leurs sacrifices. À Cuba, ils doivent non seulement affronter le risque de contagion, mais ils doivent aussi travailler avec un matériel hospitalier détérioré et s’accommoder de faibles salaires.

Pendant des décennies, le système de santé cubain a été fortement encensé par la propagande officielle et est devenu quasiment un mythe au niveau international. Sa gratuité et son étendue sont présentées comme un des grands « acquis de la Révolution » et beaucoup considèrent le service de santé de l’île comme un exemple à suivre pour la gestion du secteur. Néanmoins, de plus en plus de Cubains sont mécontents de l’état calamiteux des hôpitaux, dans lesquels les patients doivent eux-mêmes apporter draps et nourriture.

À mesure que se répand le coronavirus à travers le pays, où selon les chiffres officiels 170 personnes ont déjà été testées positives et 6 personnes sont décédées du virus, c’est l’ensemble de notre réseau sanitaire qui est mis à l’épreuve. L’avantage des médecins cubains, c’est qu’ils ont été formés à cette éventualité et qu’ils ont l’habitude de travailler avec peu de moyens. Ils ont développé une aptitude particulière qui leur permet d’affronter les pénuries en termes d’équipements qui s’aggravent en cette période. Nombre d’entre eux sont des « diplômés » de la dure école de la crise chronique.

L’avantage des médecins cubains, c’est qu’ils ont été formé à cette éventualité et qu’ils ont l’habitude de travailler avec peu de moyens. Ils ont développé une aptitude particulière qui leur permet d’affronter les pénuries

Cette aptitude à faire beaucoup avec peu est une des forces qu’exhibent les médecins cubains partis récemment vers des pays où le coronavirus est en train d’atteindre des centaines de milliers de vies. Plus de 40 nations ont sollicité l’appui des professionnels médicaux de l’île, selon le Ministère de la Santé publique. La demande est nécessaire et constitue sans doute une décision adéquate, car ils vont recevoir des docteurs expérimentés en situation d’urgence.

Toutefois, il faut reconnaître que les détails de ces accords entre le gouvernement cubain et les pays qui réclament du personnel médical ne font quasiment jamais les gros titres dans la presse d’aucuns des pays concernés. Ces médecins offrent leurs services dans de conditions de semi-esclavage, car ils ne recevront qu’une infime partie de l’argent qu’ils gagnent en tant qu’hôtes.

Nos docteurs sacrifiés travailleront, transpireront et risqueront leurs vies, mais le grand gagnant sera un gouvernement qui ne laisse rien filtrer sur le devenir de chaque centime gagné lors des missions médicales. Bien que les autorités officielles répètent que cet argent est investi dans de meilleures infrastructures et dans les services médicaux nationaux, il n’y a aucune preuve évidente, et cette même somme peut aussi bien être utilisée pour sauver des vies que pour soutenir la répression.

D’un autre côté, bien que le désir de soigner constitue la principale motivation de leur travail, ces docteurs devront accepter que leur effort soit vu publiquement sous les habits de l’idéologie. Il suffit de voir les images des médecins cubains avant leur départ vers l’Italie, posant à côté d’un portrait de Fidel Castro, pour comprendre que leur est aussi utilisé par la Place de la Révolution comme une opération marketing. Les autorités veulent tirer profit idéologiquement de la pandémie et défendre l’idée qu’un modèle autoritaire restreint certes les libertés, mais sauve des vies. Autrement dit, dans ces régimes, il est impossible de se comporter comme un citoyen. Il est uniquement possible de se comporter comme un éternel patient.

Le discours atteint ses limites lorsque l’un de ces médecins décide de ne pas retourner sur l’île. Oubliés les sourires sur la photo et l’épithète de « héros de la patrie » : il portera désormais les stigmates du « déserteur ». Il suffit qu’il ne rentre pas d’une mission et il lui sera interdit de retourner sur l’île afin de retrouver sa famille pendant huit longues années, et en plus, il perdra le salaire en monnaie nationale qu’il avait accumulé sur un compte bancaire cubain.

Mais alors, vous vous demanderez pourquoi ils participent à ces missions dans lesquelles ils risquent leurs vies et gagnent si peu ?. La réponse est complexe, mais elle vaut la peine d’être expliquée. Leur vocation humanitaire fait partie des motivations, mais ce n’est pas tout : sortir de la prison insulaire constitue une forme de répit au milieu d’un quotidien si difficile. Malgré le fait d’être dans une zone d’urgence, là-bas, ils auront accès à une plus grande offre de services et de produits. Ils pourront aussi ramener à Cuba des marchandises afin d’améliorer leur situation et celle de leur famille.

Il y a quelques années, j’ai rencontré une docteure, épidémiologiste et professeure à l’université qui a accepté une mission médicale au Venezuela parce que c’était sa seule chance d’obtenir les ressources nécessaires pour réparer le toit de sa maison

Il y a quelques années, j’ai rencontré une docteure, épidémiologiste et professeure à l’université qui a accepté une mission médicale au Venezuela parce que c’était sa seule chance d’obtenir les ressources nécessaires pour réparer le toit de sa maison. Sur cette île aux forts contrastes, nous pouvons croiser sur un neurochirurgien qui s’apprête à opérer un cerveau sans même avoir déjeuné, parce que son salaire ne lui permet pas de boire chaque jour un verre de lait. De même, nous pouvons croiser un néphrologue qui demande à ses patients de lui acheter un goûter pour supporter sa journée de travail.

Même si depuis quelques années, le salaire des professionnels de la santé est devenu le plus élevé de Cuba, il est encore très difficile de trouver l’un d’entre eux qui gagne plus que l’équivalent de 70 dollars mensuels. Cela se produit dans un pays où le litre d’huile végétale coûte plus de 2,50 dollars, et où les magasins gérés par l’État vendent le lait à plus de 1,50 dollars. Nos docteurs vivent pratiquement dans la misère.

Cette situation et d’autres éléments les poussent à prendre l’avion pour apporter leurs services professionnels loin du pays. Ils mettent leurs vies en danger tout en sachant que le gouvernement s’accapare la plus grande part de leurs revenus. Ils s’engagent aussi parce qu’ils aiment leur métier, et qu’un jour, ils ont promis d’affronter la maladie et la mort. Ils s’engagent aussi, car ils sont des êtres humains extraordinaires, comme tous les docteurs de la planète, et non parce qu’ils défendent une idéologie ou qu’ils militent dans un parti politique.

Ces personnes, nos médecins, sont les véritables héros de ces dernières journées, et pas uniquement pour les raisons évoquées par la presse officielle. C’est pour cela que ce soir, à 21 heures, je les applaudirai frénétiquement sur mon balcon. Je le ferai pour reconnaître leur effort, mais ce ne sera pas une ovation pour le système qui les a condamnés à la précarité et à la docilité politique. Saluons nos héros en blouse blanche !

Les informateurs cubains et la fausse normalité

Les habitants continuent de se rassembler sans maintenir une distance suffisante entre eux. (14ymedio)

Chaque jour, je dois m’efforcer à regarder les actualités officielles cubaines. Mon travail de journaliste m’oblige à synthétiser ces nouvelles, car dans un pays marqué par le contrôle vertical des informations, il existe des données et des déclarations qui ne sont publiées nulle part ailleurs que dans ces espaces télévisés et radiophoniques. Bien que je fasse toujours preuve d’une patience exceptionnelle pour m’asseoir devant le téléviseur, je dois avouer que ces derniers temps la tâche devient plus pénible.

En soirée, le bulletin d’information de la télévision cubaine (NTV ou Noticiero de la Televisión Cuba) retransmet quelques rumeurs dangereuses sur le coronavirus, transformant la pandémie en bataille idéologique. Il utilise la calamité afin de batailler publiquement et il nie les erreurs des « compagnons de route » tout en minimisant ou en falsifiant les assertions des pays démocratiques face à l’avancée du Covid-19. Enfin, il diffuse des déclarations de fonctionnaires qui sont plus occupés à donner une impression de normalité qu’ils ne sont préoccupés par la protection de la population. Les attitudes de Maduro et d’Ortega face à la pandémie seraient des exemples à suivre, tandis que Merkel ou Macron feraient littéralement sombrer leur pays, selon ce simulacre grossier de bulletin d’information.

Le bulletin d’information assure que tout est « tranquillité et discipline » à l’intérieur de Cuba. Dans ses reportages et ses titres, le chauvinisme atteint des sommets insupportables mêlant imprudence, arrogance, manque absolu d’humilité et stupidité. Ce système « informatif » officiel est aussi responsable du dommage que ce virus occasionne dans une Cuba non préparée, où les frontières ne sont toujours pas fermées, où les classes accueillent encore les élèves, où les journées de travail ne sont pas encore suspendues, où les administrations publiques sont encore ouvertes et où les habitants n’ont pas encore été appelés formellement à rester chez eux.

Traduction : SBC